L’intérim est, de par l’histoire, peu rattaché aux postes de direction ou d’encadrement, pourtant les grandes enseignes ont pratiquement toutes créé un département spécifique.
Ayant pendant quelques temps fréquenté ces officines à différentes époques de ma vie correspondant à des transitions professionnelles pas toujours facile à vivre, j’ai creusé la question de l’intérim-cadre.
Autant, il y a 30 ans, j’offrais mes bras rattachés à une moelle épinière autant aujourd’hui je propose un savoir-faire et un savoir-être qui normalement auraient dû faire la différence…
Eh bien non, l’intérim-cadre n’est pas vraiment ce que l’on pense. Sous des couleurs très professionnelles se cachent les vieux démons de la main d’œuvre corvéable et jetable.
On aurait pu penser que le fait de louer son cerveau était différent de louer ses bras. Mais non, c’est la même chose. C’est le même principe mais collé sur le cerveau.
- On ne vous demande pas de réfléchir à ce que vous faites mais de faire comme on vous dit.
- On ne vous demande pas d’innover ou de remettre en cause mais de produire à l’identique.
- On ne vous demande pas d’exprimer votre unicité et votre richesse mais d’être un rouage anonyme parmi tous les anonymes.
- On vous demande seulement d’être transparent à tout et à tous de telle manière que personne ne se rappellera même que vous avez travaillé chez eux.
La mécanique est huilée pour produire, rentabiliser et surtout ne pas faire de vague. Et puis, top du top, pour vous aider à vous motiver, on vous aura fait miroiter que la mission pourrait se terminer par un CDD ou CDI alors il faut donner le meilleur, mais toujours à l’intérieur des limites fixées.
Certes, je comprends que les périodes d’essai soient trop courtes pour décoder un personnage. Je ne remets pas du tout cela en question mais c’est seulement le fait d’appliquer les méthodes d’un loueur de bras à un loueur de cerveau.
A quoi cela sert d’avoir baroudé autant, d’avoir appris autant pour se voir louer comme un vulgaire pignon dans un process souvent obsolète? Pourquoi vouloir conserver des méthodes « fordiennes » à l’ère du travail en équipe et par projet ?
Alors, imaginez que vous ayez changé de métier plusieurs fois dans votre vie. Dans quelle case va-t-on vous mettre puisque l’on demande des spécialistes, des experts qui par principe ne toucheront pas vraiment au management puisque ce dernier n’est que le fruit de l’expérience et d’interactions humaines ?
L’intérim semble avoir de beaux atouts pour attirer les cadres en reconversion mais beaucoup de désillusions font surface après un certain temps.
Il est clair que, si vous êtes comptable, rivé derrière votre écran, l’intérim-cadre ne vous rebutera pas. Vous serez utilisé comme un expert dans votre domaine mais imaginez que votre expertise soit celle de l’animation des troupes, de résolutions de problèmes relationnels ou de restructuration.
Vous n’aurez aucun espoir de salut pour ce type de mission car l’interim-cadre ne sait pas faire. Il sait juste louer des experts métiers qui auront à répondre à une surcharge de travail tout à fait ponctuelle chez un client.
L’intérim demande des qualités d’adaptation, de communication, de réserve et de professionnalisme. Il est une voie d’épanouissement, de brassage des connaissances et de découvertes permettant un benchmarking efficace.
L’intérim est une réponse à deux besoins fondamentaux : celui des entreprises devant faire face à des variations de charges et celui d’une frange de la population en situation professionnelle instable.
Pour tous, cela doit être temporaire mais les faits montrent que certaines entreprises abusent et que certains intérimaires détournent le système pour mieux jouer avec les assédic.
En résumé, l’intérim-cadre joue à l’intérieur de limites peu compatibles avec la notion même de management et c’est pourquoi les sociétés d’intérim ont choisi principalement le terme « cadre ».
Mais, comme on sait tous que le statut cadre en France n’a plus rien à voir avec la notion d’encadrement, et donc implicitement de management, que doit-on penser de l’intérim-management ?
Entretenir le flou dans les définitions est loin d’être préjudiciable pour tous. Il serait même voulu par nombre d’acteurs, alors peut-on être ou devenir un « intérim manager » ?
La réponse est oui mais la véritable dénomination devrait être plutôt « manager de transition ». Ce dernier reprend la notion de « temporaire » mais en faisant sauter les notions « à l’identique » et « corvéable » sans annuler pour autant le « remplaçable » et le « jetable ».
Laurent DUREAU
Article paru à l’origine sur le blog Booster Votre Influence le 22 février 2007 et réactualisé sur le blog 345D le 1er mars 2012.