On pourrait penser qu’il faut du courage managérial presque partout. Et puis, quand on y regarde de près, on se rend compte que plus la globalisation avance et plus la situation devient critique.
Avant il y avait les concurrents normaux (ceux qui ont les mêmes armes que vous) et puis maintenant, il y a ceux qui jouent avec d’autres armes avec lesquelles vous ne pouvez pas lutter. Il vous faut donc sortir des limites conventionnelles et prendre des risques…
Devant cet état de fait et de cette nouvelle pression, le manager se retrouve non seulement de plus en plus seul mais surtout isolé dans sa prise de décision. C’est vrai qu’il devient de moins en moins peinard d’être un chef !
Cette dérive normale vient à intensifier des travers connus depuis longue date. Je vais donc de nouveau faire une petite liste là où cela coince.
1 – Manque d’ouverture à proposition
Le propre d’une mise en pression non voulue est d’éviter d’augmenter à tout prix des pressions supplémentaires. Et comme on ne peut pas arrêter celles qui viennent de l’extérieur de l’entreprise, la première réaction sera de rejeter celles qui viennent de l’intérieur.
Donc, les collaborateurs se doivent de bosser et de se faire oublier sur leurs propositions qui tombent souvent comme un cheveu sur la soupe. Le simple décalage entre un 35 heuriste et un abonné aux horaires rallongés fait que les synchronisations sont plutôt délicates.
Le courage managérial à ce niveau est de quand même accepter toutes les propositions, même si notre emploi du temps nous l’interdit. Ce n’est pas en restant dans notre bulle que l’on pourra effectivement trouver toutes les solutions.
2 – Ne voir que sa solution
Conséquence du paragraphe précédent, on va vouloir imposer sa solution afin de couper court à toutes les discussions possibles. Le temps manquant, le passage à l’action entraînera systématiquement le manager à ne voir que sa solution.
Le courage managérial sera surtout de maintenir une dose minimale de discussion, au moins juste pour relâcher la pression que subissent individuellement vos collaborateurs. En les mettant sous pression, vous vous devez aussi de les en libérer régulièrement sous peine d’avoir une inflation de congés maladies.
3 – Savoir tout et avoir des certitudes sur tout
Autocratique par essence et souvent par nécessité, le manager (au vu des 2 points précédents) va s’enfoncer dans un despotisme qui fera grincer bien des dents dans les rangs.
La réaction des collaborateurs sera donc de dire: « Puisqu’il sait tout, je vais m’enfermer dans mon petit train-train, fermer ma gueule et exécuter ce qu’il me demande de faire sans forcément comprendre pourquoi ». Et puis après, si des conneries sont faites, cela ne sera pas de ma faute, moi, je ne suis qu’un exécutant ignare et sans intérêt !
4 – Faire « sentir » sa supériorité
Directement relié au point n°3, la fatigue aidant, le manager aura tendance à vouloir affirmer sa supériorité intellectuelle et stratégique grâce à son grade. Si cela fonctionne assez bien avec les moelles épinières verticales dévitalisées, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux pour engendrer la motivation.
5 – Être trop interventionniste
Là encore, fort des points précédents, on peut concevoir que le manager va chercher à tout contrôler parmi sa bande de démotivés. Ses caractéristiques de commandement vont évoluer plutôt dans le style militaire plutôt que dans celui du consensus minimal.
Il est clair que lorsqu’on joue à ce niveau-là, on peut comprendre que le manager soit sous haute pression pendant que les autres sont en basse pression. Alors, comme pour la bouteille de gaz, il va falloir prévoir un détendeur sous peine de se retrouver en slip en train de frapper à la porte du paradis (appelée ANPE ici-bas sur Terre).
Le courage managérial à ce stade est d’aller prendre des vacances afin de faire baisser sa pression nerveuse en se disant qu’après tout, si on paye ses collaborateurs c’est quand même pour qu’ils prennent leurs responsabilités.
6 – Ne pas déléguer
Forcément, si vous ne prenez pas de temps de repos (je dirais plutôt de changement d’activité), la désorganisation vous guette avec le cortège de bordel qui va avec. En voulant tout faire, tout contrôler, tout organiser, il est évident que votre visage se couvrira des peintures de guerre affichant les symptômes de paranoïa aiguë.
Vous avez compris qu’à ce stade, le courage managérial sera de déléguer en faisant confiance à ceux qui vous énervent tous les jours. C’est une grosse entorse, pour ne pas dire un sacrifice, qu’il vous faut faire à votre conception de la performance mais vous n’avez plus vraiment le choix.
Dans cet article, vous aurez pu constater que souvent, une chose en entraîne une autre pour enfin arriver au détestable, au rejetable, au démotivable et à l’impensable : Vous vous devez, en tant que manager, de laisser votre entreprise aux mains de vos collaborateurs !
Alors je dirais que la plus grande leçon de courage managériale de la série se retrouve dans cet article : celle de laisser vivre votre entreprise sans vous aux commandes, au moins pour un certain temps !
Personnellement, je l’ai déjà fait et je peux vous dire que même si vous ne dormez pas bien vos nuits, l’impact positif sur les collaborateurs est inouï. Puis quand vous êtes de retour (avec une pile haute comme ça sur votre bureau), vous vous rendez compte que le monde a quand même continué de tourner sans vous.
Outre ce point qui fait mal à notre ego, le bonus est que tout le monde a pris conscience des hics organisationnels et décisionnels. Cela en remet plusieurs à leur place parce qu’entre eux, il a fallu qu’ils se disent leurs 4 vérités tout en trouvant au final un consensus puisque le patron leur a fait confiance.
Ainsi, quelques têtes sortent du lot et il est toujours agréable de découvrir que quelques leaders se planquaient derrière des fonctions anodines et qu’ils ont enfin sorti la tête du bois.
L’autre point positif de cette affaire, c’est que vous avez découvert (si votre absence est suffisamment longue) quelle est la véritable organisation relationnelle qui anime votre entreprise.
Enfin et dernier point crucial, c’est que tous vos collaborateurs se rendent compte véritablement de la charge que vous avez sur les épaules et ils apprécient grandement votre retour pour traiter les problèmes qu’eux-mêmes sont incapables de gérer ou de vouloir en assumer la responsabilité.
Ainsi, votre fonction et votre utilité seront bien reconnues, sauf si vous êtes un brasseur de vent. Dans ce cas, je vous suggère de ne pas prendre de vacances sinon vous allez aller les passer à l’ANPE…
Laurent DUREAU
Article paru à l’origine sur le blog Booster Votre Influence le 25 juin 2008 et réactualisé sur le blog 345D le 29 février 2012.
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