Comme l’indique le titre, la culture d’entreprise c’est d’abord une histoire de cultivateur qui cultive dans un jardin d’individu afin de récolter des fruits vendables. Je conçois que la définition est bizarrement tournée mais revenir aux fondamentaux demeure généralement salutaire.
En effet, il y a quelques jours, on m’a demandé comment je m’y prendrais pour faire une conférence structurée sur le sujet face à des fonctionnaires qui viennent de se faire racheter par un fond privé et où la notion de culture d’entreprise semble venue d’ailleurs…
Alors, comment en parler pour transformer un fonctionnaire en travailleur du privé. Ce cas pratique se déroule dans un pays francophone qui est situé dans l’océan indien. Néanmoins, cela reste un pari osé mais pourquoi pas ?
Il a donc été élaboré par les repreneurs une série de conférences pour informer le personnel sur les nouveaux produits et comment il va falloir maintenant se comporter. L’idée semble être rationnelle et censée, et pourtant c’est loin d’être la meilleure !
Imaginez toutes les peurs associées non seulement au statut mais aussi au rendement, à la qualité à fournir, à la concurrence et à une certaine forme de jungle où le plus fort s’en tirera toujours mieux que les autres, sans oublier la « santé » de chacun. Je promets beaucoup de circonvolutions managériales aux nouveaux dirigeants.
L’impossible restant toujours possible à cœur vaillant et à misère grandissante, j’étais parti à donner à mon interlocuteur quelques ficelles pour prendre les choses par le meilleur bout possible jusqu’au moment où je me suis rendu compte qu’il fallait revenir aux bases pour bien cerner le problème.
Introduire une culture d’entreprise, c’est comme si vous arriviez dans un champ cultivé depuis des générations et que vous décidiez non seulement de fabriquer d’autres produits mais surtout de chambouler toutes les habitudes acquises. On imagine qu’il va y avoir un paquet de pertes de repère avec tous les troubles sociaux et productifs à la clé.
Le bon sens nous dit qu’il faut commencer par expliquer, expliquer et encore expliquer, mais expliquer quoi au juste ? La qualité des produits, le nouveau règlement intérieur, la nouvelle direction ou comment poser ses congés ? Il y a tant de choses à dire et si peu de temps pour le faire !
Avant de décrire quoi que ce soit, il y a quelque chose à dire de plus important que tout cela. En avez-vous une idée ? Pourtant sans cela, vous serez assuré de prêcher dans le désert en n’ayant en face de vous qu’un mur défensif et plein d’incompréhensions.
Avant même de parler production, produit ou organisation, il va vous falloir conquérir le cœur des travailleurs mais, pour cela, il va falloir vaincre tous les barrages mentaux et comportementaux. Or, le ciment de ces derniers est la peur, cette crispation qui freine tous nos élans.
Il va donc falloir commencer par prendre conscience des principales peurs qui régissent le comportement de vos employés (paye, conditions de travail, etc.), puis minutieusement, trouver tous les arguments nécessaires pour les dissoudre ou les minimiser un à un, calmement et sûrement.
Il vous faudra découvrir quels sont les leaders d’opinion, pas forcément ceux qui tiennent les banderoles ou les haut-parleurs des contestataires, mais ceux qui sont derrière, qui restent discrets mais qui font figure de référence pour tous.
Oubliez les extrémistes, il y en aura toujours et vous n’arriverez jamais à éteindre leur voix. Cherchez plutôt à trouver ceux qui influencent le nombre et qui peuvent faire basculer les indécis quand ils ouvriront la bouche ou montreront le chemin à suivre.
Ils peuvent être jeunes, vieux, édentés, incultes, hommes, femmes ou autres. Visez large afin d’avoir un maximum de points d’appui sur toutes les couches de votre personnel. Ne négligez aucunes factions car si vous en négligez une, elle sera toujours là pour vous embêter et tout faire capoter au dernier moment.
Donc, une fois recensés les leaders d’opinion, rapprochez-vous d’eux et demandez-leur humblement ce qu’ils désireraient voir régler comme problème principalement. A partir de là, vous pourrez élaborer non pas une stratégie mais une vision suffisamment générale pour que tous y adhèrent.
Avoir une vision où chacun peut se reconnaître est le premier élément pour faire bouger quelqu’un dans sa tête, mais il en faut une seconde qui est essentielle : Il faut que cela résolve globalement ses problèmes immédiats. Il faut lui faire comprendre que s’il se prend en main, vous l’aiderez de tout votre possible pour qu’il atteigne la légitimité qu’il attend de lui et des autres.
Montrer à un être humain qu’il peut être quelqu’un de reconnu pour ce qu’il est, pour ce qu’il fait, est un moteur suffisamment puissant pour qu’il change sa vieille perspective et les peurs associées. Cette envie de sortir de sa condition sera suffisante pour qu’il ait la force d’affronter ses peurs souvent rattachées à des déceptions passées.
Partant de là, de cette vision, vous pouvez commencer à expliquer les grandes lignes de votre projet, le pourquoi, le comment et les résultats attendus si chacun y met du sien. Laissez suffisamment de mou pour que chacun puisse y voir sa suggestion prise en compte et peut être mise en œuvre.
Si votre projet est trop réglé comme un papier à musique, alors ils sentiront qu’ils ne sont pas vraiment les créateurs de leur futur mais simplement un rouage remplaçable et cela refera chuter le soufflet.
Donner la direction n’est pas forcément dire quelle route on va prendre. Laissez-les vous surprendre car ils connaissent le terrain probablement mieux que vous. Le plan prévu de votre jardin peut être superbement sophistiqué mais eux, les cultivateurs, connaissent le moindre fossé, les nappes d’eau qui se forment quand il pleut, les prédispositions aux mauvaises herbes ainsi que les prédateurs invisibles.
Donnez les grandes lignes et acceptez les modifications demandées car, en reconnaissant leur savoir-faire et leur intelligence, vous ne faites que concrétiser aux yeux de tous qu’ils savent de quoi ils parlent.
Contentez-vous de regarder plus loin dans le temps et l’espace car eux pensent qu’ils en sont incapables. Et puis, ce qui n’était pas discutable au début le sera peut-être plus loin, quand ils auront le nez dessus. Ils reconnaîtront ainsi votre aptitude et négocieront moins la prochaine fois. Acceptez de perdre pour gagner.
Une culture d’entreprise n’est pas quelque chose qui se décrète mais quelque chose qui se construit tous les jours avec toutes et tous.
Vous pouvez toujours vous la jouer en faisant de grands discours mais cela portera plus à critiques et à railleries qu’à rassemblement et cohésion vers un même objectif.
Donner un objectif général est bien, mais il ne pourra se révéler dans la matière que si un minima des objectifs individuels est réalisé. Le propre du travailleur est qu’il vit chaque jour avec un espoir pour le lendemain. Le propre du dirigeant est qu’il vit un exercice fiscal dans l’espoir d’un prochain qui sera meilleur.
Le mécanisme est le même mais seule la durée change. La durée est directement proportionnelle à l’éducation d’un individu et à la tâche qu’il effectue. Beaucoup de cadres se sont cassés les dents parce qu’ils n’avaient pas compris cela.
Ne promettez pas à quelqu’un qui ne sait pas s’il pourra payer son loyer le mois prochain que s’il bosse comme un fou pendant 1 an, il aura peut-être une augmentation de 2,5%. Ne prenez pas les « petites gens » ou les « braves » pour des idiots car ils ne le sont pas.
Ce n’est pas parce que leur raisonnement est basique et souvent à courte vue qu’ils ne vous auront pas au prochain virage car généralement, malgré l’alcool ambiant, ils ont une sacré mémoire !
Au final, l’intelligence collective aura toujours raison sur l’intelligence individuelle. En face à face, vous pouvez être gagnant à tous les coups mais face à la foule vous ne serez qu’un fétu de paille style 1789 si cela chauffe beaucoup.
Alors, pour revenir au thème principal de cet article, c’est quoi la culture d’entreprise ? Pour moi, c’est la construction d’un climat social propice à l’épanouissement des individus dans une organisation collective ayant pour objectif une vision commune et partagée de sa finalité.
Oui, il faut relire plusieurs fois la définition pour bien la comprendre. Et si vous l’avez bien compris, je peux vous promettre que vous allez devenir un sacré bon cultivateur !
Laurent DUREAU
Article paru à l’origine sur le blog Booster Votre Influence le 2 mai 2008 et réactualisé sur le blog 345D le 25 février 2012.